ORIGINAL-Criton-1962-09-01
Le Courrier d’Aix – 1962-09-01 – La Vie Internationale.
Semaine relativement calme après les incidents de Berlin, ponctuée seulement par les explosions nucléaires soviétiques dans le ciel de la Nouvelle-Zemble, et le bombardement du quartier général des soviétiques à La Havane par des émigrés anticastristes. L’activité diplomatique n’en est pas pour autant suspendue. C’est toujours entre Russes et Américains une lutte très âpre, quasi quotidienne, pour marquer des points en tous lieux et sur tout problème, où ils s’affrontent sans que pour cela cesse la conversation qui garantit la poursuite pacifique du jeu. Un petit pas des Soviets pour resserrer leur étreinte sur Berlin et avancer la préparation du traité de paix avec Pankow annoncée voilà plus de trois ans. Moscou a supprimé son commandement militaire à Berlin pour obliger le cas échéant les alliés à Berlin, de traiter avec le Général Est-allemand nommé pour le remplacer.
Le Bombardement de La Havane
L’affaire de Cuba est peut-être plus sérieuse. On ne saura jamais si le raid des « étudiants cubains » qui ont lancé des obus sur La Havane a été organisé aux Etats-Unis et dans quel but. Ce qui est établi, c’est que les Russes ont envoyé à Cuba de nombreux spécialistes. On parle même d’unités militaires chargées de construire des rampes de lancement de fusées dirigées vers les U.S.A.
Il n’est pas douteux que l’U.R.S.S. a décidé de soutenir avec de gros moyens la dictature chancelante de Fidel Castro. En effet, s’il demeure le maître dans l’Ile, Castro a perdu beaucoup de son prestige en Amérique latine, et la cause du communisme avec lui. L’économie du pays s’est dégradée. La production a considérablement baissé. Les vivres manquent. Faute de devises fortes, les importations essentielles sont impossibles et Cuba dépend exclusivement de l’U.R.S.S.
Les Russes avaient jusqu’ici hésité à s’engager à fond d’abord parce qu’ils n’ont pas les moyens de prendre en charge les six millions d’habitants, mais aussi parce qu’ils ne désiraient pas faire de Cuba, aux yeux des Sud-Américains, un satellite. Le prestige de la révolution cubaine reposait sur son indépendance et son succès sur l’adhésion et l’effort populaires. Echapper à la domination yankee pour subir celle des Soviets, c’est renier l’idéal du mouvement et aliéner une nouvelle fois l’indépendance nationale. Passer d’un camp à l’autre, c’est précisément ce que tous les mouvements d’opposition en Amérique latine veulent éviter. La révolution cubaine devenue communiste ne les intéresse plus.
L’Anarchie Algérienne
Il faut bien, hélas, parler de l’Algérie. Le pire n’arrive pas toujours, mais il semble bien ici qu’on y soit. Entre l’anarchie et la dictature où nous l’avions laissée précédemment, c’est l’anarchie qui pour le moment l’emporte. On dit bien qu’après sept ans et plus de guerre, les choses ne peuvent se remettre en ordre sans délai. Ce qui frappe cependant c’est l’inconsistance de l’opinion populaire à laquelle tous les candidats au pouvoir font appel. Ben Bella venait d’être accueilli en triomphateur à Alger. Quelques jours après, il n’ose même plus s’y montrer en public. C’est d’ailleurs ce qu’avaient toujours objecté aux partisans d’une négociation avec le F.L.N., ceux qui connaissaient les caractères du peuple. Rien ne garantit qu’une fois un gouvernement établi, il ne sera pas renversé par quelque aventurier, qui aura, pour un moment, soulevé les masses.
L’Aide des Deux Blocs
Cependant sans attendre, les protagonistes de la guerre froide s’étaient précipités dans le vide ouvert par l’abdication de la France. Les Russes, les Chinois, les Américains simultanément : Médicaments, blé, lait en poudre, tout ce dont les uns manquent eux-mêmes et dont les autres ont trop. Cela a donné lieu à de petites cérémonies organisées par les envoyés des puissances et un pouvoir local éphémère. Seuls les envois communistes ont été célébrés. Ce nouveau terrain de lutte entre les deux blocs est plutôt mouvant et les déceptions ne manqueront pas aux bienfaiteurs intéressés. Mais ce Congo à nos portes est bien plus dangereux que l’autre pour l’équilibre du monde.
Les Purges en Hongrie
Repassons le rideau de fer pour nous arrêter en Hongrie. Les satellites de l’U.R.S.S. subissent actuellement des crises obscures dans leur fond parce qu’elles se développent entre clans : Kadar à Budapest, vient de se livrer à une épuration. Il a d’abord exclu du parti Rákosi et Geroë les anciens staliniens, accusés de tous les maux antérieurs à la révolution de 1956. Ces personnages ne jouaient plus depuis, aucun rôle et c’était dégrader des morts. Mais l’opération servait de prétexte pour éliminer un certain nombre de hauts dignitaires, une trentaine, paraît-il, qui, eux occupaient des postes importants et que pour les besoins de la cause on a qualifié de staliniens. En réalité, ces changements ont pour but de donner à la population déprimée par les restrictions, la satisfaction de voir liquidés des responsables et d’entretenir l’espoir de jours meilleurs. Par une ironie du sort, c’est précisément la méthode qu’employait Staline : l’utilité des purges pour affermir le pouvoir. La difficulté c’est de trouver des remplaçants.
En Hongrie, on substitue des techniciens aux gens du parti. En Allemagne orientale par contre, la vieille garde demeure faute de trouver des hommes sûrs pour la relever. En Tchécoslovaquie, Novotny, condamné par Krouchtchev se défend avec succès, sans doute pour cette raison. En Bulgarie et en Roumanie, au contraire, Krouchtchev s’est efforcé de consolider par sa présence, Zivkov et Georgiu Dej menacés par les luttes intestines. Les peuples, eux, restent indifférents.
Un Américain à Moscou
Nous lisions récemment dans « l’Observer » de Londres, le récit d’un écrivain américain qui a réussi à avoir ses entrées dans la haute société soviétique. Ce qui l’a frappé, c’est combien elle ressemble à celle qui florissait sous les tsars. Ces dames s’habillent à Paris et les dernières modes de l’Occident, spectacles, jeux ou livres, n’ont pas de secrets pour eux. Et surtout il y règne une sévère étiquette. Notre Américain ne nous cache pas que ses manières laissaient à désirer et qu’on le lui a fait remarquer. Les réceptions sont aussi fastueuses que le permet le régime ce qui aux yeux d’un Américain fait un niveau bien modeste, mais tout s’y déroule comme dans la plus protocolaire des aristocraties.
En un temps où les usages se perdent, c’est en Moscovie qu’ils sont le mieux préservés. Le communisme mène à tout, à condition, bien entendu, d’en sortir.
CRITON