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Le Courrier d’Aix – 1955-03-26 – La Vie Internationale.
Changements de Personnes
L’attention se disperse en ce moment sur des questions d’intérêt inégal, et ce ne sont pas les plus spectaculaires, comme la prochaine retraite de Churchill, qui offrent le plus d’importance.
Nominations en U.R.S.S.
C’est peut-être en Russie que de véritables changements se dessinent. Que signifie, d’une part la nomination des onze nouveaux maréchaux et des trois Vice-Ministres des Affaires étrangères ? On croit généralement que dans la lutte d’influence entre l’Armée et le Parti, c’est la première qui l’emporte. N’est-ce pas plutôt que la prépondérance de Joukov, le seul homme populaire de l’U.R.S.S. inquiète le Parti, et que celui-ci veut élever des généraux, hier obscurs, pour que leur nouvelle dignité fasse contrepoids à l’autorité du vainqueur de Berlin ? Ne s’agit-il pas de diviser l’armée pour la mieux contrôler ? Quant à la nomination de Kouznetsov aux côtés de Molotov, elle procède sans doute de la même intention. Kouznetsov passe pour le rival du Ministre des Affaires étrangères, et son ascension a été rapide. Il y a longtemps que la rumeur d’une disgrâce circule autour de Molotov. Krouchtchev procède par étapes et sans violence. Le prélude est joué pour Molotov.
La Crise du Travaillisme Anglais
La crise du Parti Travailliste anglais a des causes plus profondes que l’opposition insolente de Bevan au groupe Attlee. Les élections en Angleterre sont proches – printemps ou automne – et le Parti Conservateur ne peut que consolider sa position.
Le succès relatif de la politique plus libérale, et le retour à une prospérité fragile mais tangible pour l’électeur, commence à convaincre beaucoup d’Anglais que le vent a tourné contre le socialisme dans le monde et que le progrès se fera dans la liberté contre l’étatisme : l’empressement du public à collaborer à la dénationalisation de l’acier en est la meilleure preuve.
Pour mener une campagne électorale, les Travaillistes modérés manquent d’arguments et de programme. On les soupçonne, non sans raison, de préparer en cas de victoire le retour à l’austérité qui a laissé un mauvais souvenir. Quant aux positions de politique internationale, les controverses autour de la bombe H ou des conversations avec Boulganine n’offrent pas beaucoup de consistance. Chacun sait que l’Angleterre ne peut dicter aux Américains ni aux Russes auxquels appartient l’initiative, les conditions d’une coexistence pacifique. Beaucoup de Travaillistes sentent que pour mener la bataille des urnes, il faut proposer aux électeurs autre chose qu’une version atténuée du programme traditionnel. Il faut secouer l’opinion par une opposition violente et un programme plus révolutionnaire. L’expulsion de Bevan rencontre donc beaucoup d’opposition, surtout chez les militants syndicalistes, et la direction d’Attlee est très menacée. Beaucoup, par contre, hésitent à se ranger derrière le rebelle, de peur d’effrayer la fraction modérée du Parti et de l’électorat. Mais tous sentent la faiblesse et la médiocrité de leur chef actuel.
Le moment choisi par Churchill pour se retirer semble opportun. Il n’a plus grand espoir d’être le médiateur qui ramènerait la paix entre les deux Mondes, comme il le pensait en 1953. Eden, qui a remporté quelques succès en politique extérieure, a besoin de s’affirmer comme homme d’État, et d’accroître la confiance qu’il inspire. Un succès électoral remporté sous sa direction étendrait sa popularité.
France et Angleterre
On a donné beaucoup de publicité aux lettres échangées entre Mendès-France et Churchill, fait grand bruit autour de la « chaise vide » que laisserait la France si elle se refusait à ratifier les Accords de Paris. Il n’y a pourtant rien là que l’on ignorait. Il y a plus d’un an que les Anglais se sont engagés avec Adenauer à appuyer sa politique si le Dr Erhard s’engageait à ne pas libérer le Mark et à ne pas concurrencer davantage l’exportation anglaise sur les marchés qu’elle détient. Les Allemands ont acquiescé et l’Angleterre s’exécute, les Américains leur laissant le rôle d’exercer sur la France une pression amicale.
La Ratification des Accords de Paris
La ratification des Accords de Paris va mettre le point final à une incertitude dont, comme nous l’avons vu depuis deux mois, la persistance devenait intolérable. Comme prévu, les Russes n’ont pas fait le geste qui pouvait remettre la question en cause. Mais l’exécution des Traités n’ira pas sans heurts : l’opinion allemande est divisée, tout au moins réticente, celle de la France l’est encore plus. Dans cette ambiance de résignation et de méfiance, on aura quelque peine à construire une Europe unie, mais comme il était impossible de perpétuer le conflit, on en changera seulement le caractère.
Dulles et la Chine Rouge
- Foster Dulles a fait sur la Chine de Mao Tsé Tung des déclarations assez inquiétantes. Il a parlé de l’état d’âme fanatique des dirigeants Chinois et les a comparés aux hitlériens. Nous n’avons pas de peine à l’en croire. Il a opposé cet impérialisme agressif et aveugle à la prudence des Soviets. La question est de savoir si les Russes, fort occupés à l’intérieur, donneront à leur allié chinois les moyens matériels de défier les Etats-Unis. Staline s’en serait bien gardé, mais Krouchtchev paraît plus lié à la Chine que le vieux dictateur. Deux des trois nouveaux adjoints de Molotov sont des spécialistes de l’Extrême-Orient. On peut toujours craindre que Krouchtchev ne cherche une diversion à l’extérieur pour masquer à l’intérieur ses propres embarras. Le problème d’Extrême-Orient paraît en ce moment en sommeil, mais il faudrait se garder d’en tirer trop d’optimisme. Le fanatisme ne se contrôle pas.
Les Querelles Orientales
Il semble bien que dans le duel qui se livre entre l’Egypte et ses associés d’une part, et la Turquie et les siens, Naguib et Sala Salem, son bras droit, aient le dessous. N’ayant pu contrecarrer les projets irakiens, ils cherchent maintenant une formule de conciliation qui a été très mal accueillie à Ankara et à Bagdad. Londres s’est montré dédaigneux. De plus, malgré les craintes qu’Israël inspire aux Arabes, ceux-ci ne croient pas à la force égyptienne défiée à Gaza, et se méfient du modernisme révolutionnaire des dirigeants du Caire. Les féodaux arabes, attachés à la règle religieuse islamique autant qu’à leurs privilèges terrestres, sentent qu’ils ont plus besoin de la protection de l’Occident que du patronage égyptien. Le succès de la politique anglo-saxonne en Moyen-Orient ne fait, à nos yeux, aucun doute. Il ne faudrait pas que nous en fassions les frais par des initiatives intempestives.
CRITON